TRAGÉDIE AU YUKON

Arrivé au Canada, après les dernières fêtes de fin d’années, je me rendis chez mon ami de toujours Hunch O’connor. Né au États-Unis, il séjourna à Liège depuis son enfance avec sa mère, rue Hors-château, toute proche de la place Saint-Lambert. Située aux pieds des coteaux de la Citadelle, elle est particulièrement connue et appréciée, non seulement des liégeois mais aussi des touristes, pour les nombreux endroits pittoresques auxquels elle donne accès : musée de la Vie Wallonne, cour des Mineurs, escaliers de Bueren, impasse des Ursulines et sentier des coteaux, cour Saint-Antoine.
       Dans notre jeunesse, nous avions fait nos études au Collège Saint-Servais de Liège, puis nous étions perdus de vue pendant des années. Contrairement à moi, Hunch était un scientifique. Il avait quitté la Belgique un beau matin sans que l’on sût où il était allé. Walter Heinz, son condisciple, scientifique également, était parti avec lui, sans donner davantage signe de vie. Je m’étais déjà rendu plusieurs fois au Canada, sans pour autant me douter que mes deux anciens condisciples d’école y séjournaient.
       Cette fois-ci, j’avais reçu une lettre de Walter Heinz qui me demandait de bien vouloir me rendre au Canada afin de me parler d’un incident grave. « À moins que tu aies énormément de travail et que tes activités présentes ne souffrent aucun retard, écrivait-il, il serait urgent que l’on puisse se rencontrer au Yukon chez nos amis Cyril Mace et Henry Drake. »
       J’avais bien rencontré Cyril Mace et Henry Drake, lorsqu’ils étaient venus en Belgique visiter Liège et sa Province, sans qu’ils fussent pour autant ce que l’on appelle des amis. Je fus surpris de recevoir cette missive après tant d’années ; j’avais presque dix-huit ans, lorsqu’O’connor et Heinz avaient quitté Liège. Aujourd’hui, j’en avais cinquante de plus !
       J’avais beaucoup de correspondance à terminer et, malheureusement pour mon ami, heureusement pour moi, mon éditeur ne me laissait aucun répit. Était-ce un oubli, toujours est-il que Walter ne m’avait laissé que l’adresse de Mace & Drake. Je me trouvai donc dans l’incapacité de lui écrire personnellement. Je quittai le quartier où je réside et pris l’avion pour le Canada, après m’être renseigné sur certains points.
       D’après Internet, le Yukon représentait 4,8 p. 100 de la superficie totale du Canada et occupait le neuvième rang parmi les dix provinces et les trois territoires. Seules les quatre provinces de l’Atlantique étaient plus petites que le Yukon. Le mont Logan, dans la chaîne Saint-Élias dans le parc Kluane, avec ses 5.959 mètres au-dessus du niveau de la mer, était le point culminant. Donc, c’était dans la province de Yukon qu’il me fallait chercher mes fameux armuriers.
       Une fois au Canada, j’avais pris un petit avion jusqu’à l’aéroport de Watson Lake dans le Yukon. Ma documentation m’ayant fourni les renseignements désirés. Deux heures plus tard, j’étais à Sulphur Creck dans la 3ème Avenue, devant la devanture des « Établissements Mace & Drake, armuriers. »
       Après avoir parlé du bon vieux temps et de nos études à Liège, Walter Heinz m’annonça une triste nouvelle : Hunch O’connor avait disparu, voilà un mois, et on avait eu de ses nouvelles que tout dernièrement. Et pas des bonnes ! Walter avait commencé un pénible récit que je vous livre comme je l’entendis de sa bouche :  
       — Ce matin-là, il faisait un temps exceptionnellement froid et gris. Hunch avait quitté la piste principale du Yukon pour s’engager dans un sentier peu fréquenté qui traversait l’épaisse forêt de conifères. II était 9 heures. Le soleil n’arrivait pas à percer. Bien qu’il n’y eût pas de brume, une sorte de voile sombre recouvrait tout. Mais Hunch ne s’en inquiéta pas.
       « II se retourna pour jeter un coup d’œil sur le chemin qu’il venait de parcourir. Le fleuve Yukon s’étale sur plus de 1 kilomètre et demi de largeur et disparaît sous une couche de glace et de neige épaisse de près de 2 mètres. Du nord au sud, aussi loin que porte le regard, rien ne vient interrompre la blancheur du paysage.
       « Cependant ni l’absence de soleil, ni le froid épouvantable, ni l’étrangeté mystérieuse du spectacle n’impressionnaient notre marcheur solitaire. Non point qu’il n’y fût pas habitué ; il manquait d’imagination, tout simplement. Pour tout ce qui touchait à la vie courante ou scientifique, il était à son affaire, mais il ne fallait pas lui en demander plus.
       « Il avait repris sa route d’un air pensif et avait craché. Un claquement sec comme une petite explosion le fit sursauter. Il cracha de nouveau et, de nouveau, avant d’avoir atteint la neige, le crachat produisit le même bruit. À - 45°, il savait qu’un crachat éclate en frappant la neige, mais, là, c’est en l’air qu’il avait produit ce claquement.
       « Pas l’ombre d’un doute, il devait faire plus de 45° au-dessous de zéro. Mais peu importait la température, après tout. Hunch se rendait à l’ancienne concession dont on lui avait parlé. Sans plus. Il serait de retour à Sulphur Creck, vers 21 heures au plus tard. À la concession, les camarades auraient allumé un bon feu.
       « Il s’enfonça parmi les grands sapins. La piste était à peine visible. Personne n’était passé par là depuis un mois. Un gros chien esquimau trottait derrière lui. Le pauvre animal était accablé par l’intensité du froid. II savait, lui, qu’avec un temps pareil on ne se déplace pas. Son instinct était plus sûr que le jugement de notre ami Hunch. En effet, ce n’était pas - 45° sous zéro qu’il faisait en réalité, mais - 60° ! Cela faisait donc une sacrée différence avec la normale !
       « Le chien épiait avidement chacun des gestes inhabituels de son maître, comme s’il s’attendait à le voir se diriger vers le camp et faire un feu. Le chien avait fait connaissance avec le feu et, maintenant, il en ressentait le besoin.
       « La barbe rousse de notre ami était fortement gelée. La glace s’y accumulait à mesure qu’il respirait. Si jamais il tombait, cette barbe de cristal volerait en éclats comme du verre. Tout en marchant, il se frottait les pommettes et le nez du revers de ses moufles. Dès qu’il cessait, l’engourdissement les envahissait. Il savait que ses joues allaient geler ; il s’y attendait, mais ce n’est jamais très grave.
       « Il faisait très attention où il posait le pied. Au moment où il arrivait à un tournant, il fit un brusque écart. Il savait bien que le cours d’eau était entièrement pris, mais il fallait se méfier des sources qui bouillonnaient au flanc de la colline et couraient sous la neige. Ces sources constituaient de véritables pièges. Elles formaient en effet de petites mares cachées, qui pouvaient avoir aussi bien 10 centimètres que 1 mètre de profondeur ! Par une telle température, il est périlleux de se mouiller les pieds !
       « À midi, il faisait grand jour, et pourtant Hunch ne projetait aucune ombre. Le soleil était trop loin dans le sud pour éclairer l’horizon. O’connor avait déboutonné sa vareuse et sorti son déjeuner : des biscuits qu’il avait placés à même sa peau afin d’éviter qu’ils ne gèlent.
       « Il ne mit que quinze secondes pour accomplir ce geste, et cela avait suffi pour que l’engourdissement s’emparât de ses doigts découverts. Il les frappa contre ses jambes et remit ses moufles, puis essaya de croquer une bouchée, mais sa muselière de barbe glacée l’en empêcha.
       « Il avait oublié d’allumer du feu pour la dégeler. Il se mit à rire de sa stupidité. Il s’aperçut alors que les picotements qu’il ressentait aux orteils au moment où il s’était assis avaient disparu. Hunch avait dû se demander si ses pieds étaient engourdis ou s’ils étaient réchauffés. Il pencha pour la première hypothèse.
       « Il en éprouva cependant une légère anxiété. Le vieux bonhomme de Sulphur Creck, un certain Luis MacCaine, disait vrai quand il racontait combien le froid peut devenir intense.
       « Et il s’était moqué de lui !
       « Ce qui prouve qu’on ne doit jamais être assuré de rien. Il sortit ses allumettes et entreprit de préparer un feu. Il ramassa un fagot de broussailles, fit démarrer soigneusement le feu et réussit à obtenir une flambée magnifique auprès de laquelle il dégela sa barbe. Il put alors manger ses biscuits. Pour le moment, le froid était battu.
       « Ce feu fit plaisir au chien qui s’étendit tout près. Et quand notre ami renfila ses moufles, rabattit son passe-montagne sur ses oreilles et se rengagea dans le sentier du ruisseau, l’animal fit voir qu’il ne tenait guère à quitter sa place.
       « C’est alors que l’accident survint. À un certain endroit, la neige unie et douce donnait l’impression de couvrir une assise solide. Hunch s’avança et passa au travers. Il s’enfonça dans l’eau jusqu’à mi-jambe avant de réussir à se tirer de là.
       « Il lâcha un juron sonore. Cet accident allait le retarder d’une heure, car il devait refaire du feu et sécher ses chaussures. Il escalada la rive. En haut, dans les broussailles qui entouraient quelques jeunes sapins, les hautes eaux avaient laissé un dépôt de bois mort. II en descendit de gros morceaux pour servir de chenets. Il frotta une allumette contre une écorce de bouleau qu’il avait dans sa poche et la flamme jaillit.
       « O’connor prenait son temps et s’appliquait, car il se rendait bien compte du danger qui le menaçait. À croupetons dans la neige, il arracha les brindilles enchevêtrées dans la brousse et les présenta directement à la flamme. Toute fausse manœuvre serait fatale. Il le savait. À 60° au-dessous de zéro, quand on commence à allumer son feu, on n’a pas le droit de le rater, dans le cas où l’on a les pieds mouillés ; car, même si l’on essaye de courir, la circulation ne se rétablit pas.
       « Le froid de ces vastes étendues mordait les sommets découverts de la planète et Hunch était exposé aux rafales. Mais, maintenant, il était sauvé, car le feu prenait bien. L’avertissement de MacCaine, à Sulphur Creek, lui revint à la mémoire et le fit sourire. Le vieux avait très sérieusement posé en principe absolu qu’un homme ne peut circuler seul dans le Klondike passé 45° au-dessous de zéro. Eh bien, quoi ! Il y était bien, lui ! II avait eu un accident et il était seul. Et il s’en était tiré par ses propres moyens ! Pourtant il n’aurait pas cru que ses doigts auraient pu mourir si vite.
       « Ils étaient morts pour de bon, car c’est à peine s’il pouvait saisir les branches ; ils paraissaient ne plus faire partie de son corps. Quand il attrapait une brindille, il devait la regarder pour être sur qu’il l’avait saisie.
       « La catastrophe se produisit avant qu’il ait eu le temps de couper les lacets de ses mocassins. Et par sa faute ou, plus exactement, à cause de sa négligence : il n’aurait pas dû faire son feu sous un sapin. L’arbre était couvert de neige et, chaque fois qu’il avait arraché une brindille, il l’avait agité.
       « Résultat, la charge d’un rameau bascula et, grossissant à la façon d’une avalanche au fur et à mesure qu’elle tombait de branche en branche, lui dégringola dessus sans qu’il s’y attendît. Recouvert lui aussi, le feu s’éteignit.
       « Sur le moment, O’connor fut atterré, tout comme s’il venait de s’entendre signifier son arrêt de mort. Puis il retrouva son calme. Rien ne l’empêchait de recommencer à allumer le feu. En admettant même qu’il y réussisse, quelques-uns de ses orteils seraient irrémédiablement perdus. C’était inévitable. II ramassa des herbes desséchées et de menues branchettes. Mais il ne parvenait plus à refermer ses doigts paralysés pour les arracher. De cette façon, il ramena pas mal de mousse verte dont il n’avait aucun besoin.
       « Quand tout fut prêt, il porta la main à sa poche pour y prendre un second morceau d’écorce de bouleau. Il l’entendait crisser et froufrouter mais, malgré tous ses efforts, il lui fut impossible de le saisir. Alors, pour se réchauffer les mains, il se mit à battre des bras. Au bout d’un moment se manifesta dans ses doigts le premier et lointain avertissement d’un retour de la sensibilité. Puis il commença à ressentir une douleur cuisante, qui le mit à la torture.
       « Il ne s’en plaignit pas, bien au contraire !
       « Il ôta la moufle de sa main gauche, s’empara de l’écorce de bouleau et du paquet d’allumettes. Hélas ! Le froid avait déjà retiré toute vie de ses doigts. En essayant de prendre une allumette, il laissa tomber la boîte dans la neige et, avec ses doigts morts, il ne put rien ramasser. II essaya de ne plus penser à ses pieds gelés pour se concentrer corps et âme sur les seules allumettes. Faute de pouvoir utiliser son sens du toucher, il se servit de celui de la vision et se mit à les regarder attentivement. Quand il vit ses doigts placés de chaque côté du tas d’allumettes, il leur commanda de se rapprocher. Mais entre eux et lui tout contact avait cessé.
       « Après plusieurs vaines tentatives, Hunch parvint à placer son paquet d’allumettes entre le dos de ses moufles et à l’amener près de ses lèvres. La glace qui recouvrait son visage craqua avec un bruit sec lorsqu’il ouvrit la bouche pour saisir une allumette avec ses dents. Vingt fois il le frotta sans succès contre ses leggins. Il réussit enfin à la faire prendre.
       « Par malheur, le soufre, en brûlant, lui monta au nez, ce qui lui valut une quinte de toux. Quant à l’allumette, elle tomba dans la neige et s’éteignit. Dans un moment de désespoir contenu, il doit avoir songé :
       »— Le vieux avait raison. Passé 45° au-dessous, il faut être deux pour voyager ! Pourquoi n’ai-je pas demandé à Walter de m’accompagner ?
       « Puis, ôtant brusquement ses moufles, il prit toutes les allumettes entre le dos de ses mains et il les frotta contre ses jambières. Les soixante-dix allumettes s’enflammèrent d’un seul coup ! Tandis qu’il présentait la flamme à l’écorce de bouleau, il s’avisa que sa chair grillait. II le reconnut à l’odeur. Il écarta brutalement les mains. Heureusement, le morceau de bouleau brillait. Il entreprit d’alimenter la flamme avec des brindilles.
       « Il ne pouvait ni les trier ni les choisir, car il lui fallait soulever les branchettes avec le dos des mains. Pourtant il entretenait son feu soigneusement, sinon avec adresse. La vie était là. Tremblant de froid, il devenait de plus en plus gauche. Un gros tas de mousse verte tomba en plein milieu du petit feu. Notre ami tremblait tellement qu’il fourragea trop fort pour s’en débarrasser. Irrémédiablement dispersés, les tisons s’éteignirent.
       « Une peur affreuse et tragique s’empara de Hunch, lorsqu’il se rendit compte qu’il n’était plus seulement question pour lui de perdre les pieds et les mains. Pris de panique, il remonta le lit du ruisseau en courant et suivit la vieille piste à peine visible.
       « La course lui fit du bien. S’il continuait, peut-être ses pieds dégèleraient-ils ? En tout cas, s’il courait assez longtemps, il arriverait au camp et retrouverait les camarades. Il fut ahuri de pouvoir courir avec des pieds si gelés qu’il ne les sentait plus quand ils frappaient le sol. Il avait l’impression de faire un vol en rase-mottes. Il trébucha cependant plusieurs fois et finit pas tomber pour de bon. Il tenta, sans succès, de se remettre debout.
       « Il se vit obligé de s’asseoir et de se reposer, se promettant, la prochaine fois, de marcher seulement sans s’arrêter. Il remarqua qu’il éprouvait une agréable sensation de chaleur et de confort. Et pourtant, lorsqu’il se touchait le nez et les joues, il ne sentait rien. La pensée lui vint alors que son corps commençait à geler de toutes parts, et il s’efforça de ne plus songer à rien pour échapper à l’épouvante. Il reprit derechef sa course éperdue.
       « Le chien courait toujours sur ses talons. Quand Hunch s’effondra pour la deuxième fois, l’animal s’assit devant lui, enroula sa queue sur ses pattes et braqua sur son maître un regard étrange qui dénotait son impatience.
       « Cette fois, les frissons de notre ami se firent plus rapides. Le gel le gagnait de partout. Dans un sursaut d’énergie, il se remit en route mais, une fois de plus, il trébucha et s’affala de tout son long.
       « II ne voulait pourtant pas céder à la peur. Quand il eut retrouvé son souffle, il s’assit et caressa l’espoir d’affronter la mort avec dignité. Ayant recouvré la paix de l’âme, il se laissa gagner par les éblouissements d’une douce somnolence. Le connaissant, je pense qu’il s’est dit : « Heureuse idée de mourir en dormant. »
       » — Tu avais raison, mon pauvre vieux, tu avais raison, a-t-il dû marmonner à l’adresse du vieux bonhomme de Sulphur Creek.
       « Puis il s’est assoupi du meilleur sommeil qu’il eût jamais connu. Assis devant lui, le chien a dû attendre un certain temps. Le jour très court s’achevait lentement dans un long crépuscule. II n’y avait pas la moindre trace de feu et jamais, dans son expérience, le chien n’avait rencontré d’homme qui se fût ainsi assis dans la neige ! Il se mit à gémir. Mais Hunch restait silencieux.
       « Le chien rampa alors tout contre l’homme. Il flaira l’odeur de mort, se hérissa et recula. Hurlant sous les étoiles glacées, il attendit encore un peu. Puis il se détourna et, remontant la piste, il trotta vers le camp où se trouvaient les autres, qui avaient de la nourriture et du feu.
       — Comment a-t-on pu retracer les détails de la triste aventure de Hunch ? demandai-je.
       — Quand les hommes de la concession ont vu le chien tout seul, reprit Walter Heinz, ils ont tout de suite compris qu’il était arrivé un malheur. Ils ont fait le chemin en sens inverse accompagné du chien, et découvert le corps de notre ami. 
       « À l’aide de leurs lampes et de tout leur matériel, ils ont pu établir, à peu de choses près, comment notre ami est mort à quelques centaines de mètres du camp, ainsi que les difficultés qu’il avait dû rencontrer...
       « En plus, connaissant notre ami et depuis le temps que nous sommes ici, j’ai pu aisément me mettre à sa place et partager en pensée toutes les difficultés auxquelles il a dû faire face...
       « Je me souviens avoir été visité la femme de Hunch, dans les faubourgs, lorsque le corps de Hunch est revenu. Elle ne croyait pas qu’un drame pareil ait pu arriver. Son chagrin fut énorme. Elle se retrouve seule, auprès de son fils et de ses trois filles. Je m’en veux toujours de n’avoir pas fait partie de cette expédition…
       « La question qui me tourmente toujours : pourquoi Hunch a-t-il emprunté une piste qui n’était plus entretenue depuis longtemps. Aujourd’hui, avec le tourisme, les pistes sont nickel. Hunch connaissait pourtant bien l’histoire colorée de la ruée vers l’or du Klondike, les légendes des premières nations, les étendues vierges — les parcs et lieux historiques nationaux du Yukon… 
       « La piste Chilkoot, déclarée parc historique international en 1998, offre aux visiteurs un cadre naturel spectaculaire ancré dans l’histoire. Ce superbe sentier est surtout fréquenté par les grands excursionnistes… Alors ! Sans doute aura-il voulu se replonger dans l’univers des premiers chercheurs d’or ?
       — Peut-être, dis-je.
       Nous nous sommes rendus chez Pamela O’connor, cinquante trois ans. Elle élevait seule ses deux filles de vingt-cinq et trente ans, toutes deux grandes et belles, aux yeux sombres et aux longs cheveux, ainsi que son fils, roux comme l’était Hunch, dont le grand portrait surplombait le salon du haut de la vaste cheminée.
       J’ai pris congé de la famille de Hunch et Walter et moi nous sommes rendus chez les armuriers qui m’ont offert le gîte et le couvert pendant deux jours. Avant de reprendre un petit avion à Watson Lake et puis de revenir à Liège via Bruxelles par le trafic national du Canada, Walter Heinz m’a donné son adresse et, en insistant fort, il ajouta :
       — Tu me téléphones, une fois rentré ?
       — Je t’enverrai un courriel, ce sera plus simple, avec la photo de ma femme !
       Et voilà toute l’histoire ! Je ne reverrai jamais plus Hunch O’connor.

Liège (Belgique), 11 avril 2014  









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