Souvenirs d’Afrique
J’ai connu une Afrique tellement secrète,
qu’elle ressemblait presque à une âme d’ébène ! Elle était assez semblable aux
ténèbres des visages lisses des enfants africains. J’y ai vu des troupeaux
colorés, un nombre considérable de tribus et une faune des plus vibrantes ;
cela ressemblait à d’intenses parfums de flore tropicale et on voyait tout ce
qui pouvait bouger ou frémir.
C’était désarmant. Je
visitai ce continent aux facettes miroitantes, à l’éclat bleu des cascades et à
celui des diamants de Johannesburg. Je me souviens encore de l’éclatant soleil
équatorial si doux lorsque le jour tombe aux confins des savanes blondes. Il y
avait également l’immensité paisible des lacs qui n’en finissent pas de dormir
aux pieds des monts immenses. Le Ruanda, l’Ouganda, la Tanzanie, le Burundi et
le Zaïre représentent l’Afrique où la gazelle se fait une réelle amie du
buffle.
Je sentais le coeur d’une nature toute
proche et je songeais à cette palpitante Terre des Hommes dont le coeur bat
entre des palmes des fougères. Qui ne se rappelle pas de la jungle et de la
plaine comme de ces pistes infinies et tièdes ou brûlantes et de nos nombreux
safaris ? J’avais une envie brutale de devenir un de ces explorateurs d’un
jour, comme mes compagnons, qui étaient de vaillants chasseurs, bottés de cuir
toujours ivres de poussière et de vitesse.
Combien de fois ne me suis-je pas mis à l’affût
? Je rêvais d’évasion. Éloigné de cette ville grise et morne où je travaille
toute l’année, j’étais confondu aux milliers de grains de sable dorés,
inexplorés et intacts. On aurait dit qu’ils m’attendaient et étaient avisés de
mon envie de fuir. Outre un goût fanatique pour la tasse de thé à l’ombre verte
d’un cocotier géant, je me suis délecté de tous ces bronzages intenses qui m’étaient
assurés, parce qu’ils redonnaient du tonus et une terrible envie de vivre.
Mes camarades avaient pensé à prendre des
photographies et ils devaient ramener des boîtes entières de pellicules. Mais,
avec ces diapositives, on devait toujours me poser des questions n’ayant aucun
trait à notre voyage.
— Qui as-tu photographié le plus souvent ?
Comme je n’y connais rien en photos, je
pense que j’avais demandé à Serge de coucher un guépard sur pellicule.
— Un guépard ?
Ils ne comprenaient rien. Je n’avais pas
demandé qu’on photographie la faune océane ? Le cliché du guépard eut lieu
un dimanche : il faisait étouffant quand le fauve s’est lancé sur notre
groupe. On l’avait abattu à temps, puis on l’a photographié sous tous les
angles. La lune brillait plus que d’habitude.
Marianne nous a demandé pourquoi nous ne
nous étions pas photographiés l’un l’autre. On a coupé court, à cette question,
nous avons répondu que nous avions des photos de chacun, ici, et qu’il était
inutile d’en prendre là-bas !
Quelqu’un a eu un accès de toux, Roger l’observa
l’air sévère. Nous parlâmes encore de notre voyage, refaisant mille fois les
mêmes itinéraires. Nous avons affirmé que nous nous étions très vite habitués à
la solitude de cette terre africaine, comme visiteurs, mais surtout comme
amoureux de la savane.
L’Océan indien a été une véritable
découverte ; nous y avons passé une semaine de farniente, après avoir vu les
neiges du Kilimandjaro ; nous appréciâmes les épopées au pays des guerriers
Masaï ; nous avions été de pauvres citadins Naibori, et la grande réserve d’Amboseli
était vraiment un autre joyau de l’Afrique.
Nous étions ivres de liberté !
Malheureusement, chacun de nous étaient
attendus quelque part ; dans une société de carrelages, pour l’un, dans
l’enseignement, pour l’autre. J’étais attendu avec impatience, car j’avais des
manuscrits à envoyer pour une date précise à mon éditeur. Je souriais, content
de moi, expliquant par le détail nos périlleuses aventures, lors d’un dîner
chez nous, entouré du directeur Philippe Jaminont et des autres conquérants
africains. On avait à nouveau montré les clichés.
Pour eux, c’était superbement réalisé.
Pour moi aussi. La personne qui avait pris ces photos était une jeune femme de
quarante ans qui avait beaucoup voyagé. Ce soir-là, quand Jaminont et les
autres ont appris que nous n’avions pas mis les pieds en Afrique, que nous n’irons
sans doute jamais, pour un peu, ils s’évanouirent.
— Si c’est pour ne pas nous faire mal au
coeur, c’est raté, vous savez bien que nous sommes contents pour vous…
— Marianne, nous n’avons jamais mis les
pieds en Afrique, insistai-je, mais il est parfois souhaitable d’imaginer des
océans ou des continents sans avoir besoin de quitter son pays, sans avoir
besoin de se lever de son fauteuil. Nous avons réalisé un voyage bien agréable,
en rêve. Avec les photos que nous a passées Marlène, qui a parcouru l’Afrique à
bord d’une moto, elle, nous voulions nous amuser et regarder à quel point les
gens peuvent être crédules !
— C’est gentil…
–– Ce n’est pas bien méchant. On se
connaît. Ces voyages imaginaires n’ont été connus que de nous, qui les avons
inventés : c’est très joli le pays des rêves.
— On vous pardonne parce que vous nous
avez raconté le pourquoi de la chose et parce que c’était bien pensé, avait dit
Jaminont.
Nous terminâmes la soirée en compagnie de
Marlène, notre complice, qui, cachée dans la pièce à côté, au courant de la
supercherie, a raconté ses voyages en Afrique, le désert et sa traversée, les
nuits froides, et toutes les péripéties qu’elle avait vécues.
Ça, c’était vraiment l’Afrique racontée
dans les moindres détails !
Liège, Belgique, août 2014
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