MADELEINE
Souvent
je me suis demandé ce qui arriverait si, pour me débarrasser du trop lourd
fardeau qui m’écrasait, je disais à Madeleine que je l’aimais. Comme si mon
amie pouvait comprendre l’aveu de mes sentiments ? À supposer qu’elle soit
seule, en état de m’écouter ? J’aurais pris la parole, et, sans faux-fuyants,
aussi franchement que je l’aurais dite au confident le plus intime de ma
jeunesse, je lui aurais raconté l’histoire d’une belle amitié d’enfant devenue
subitement de l’amour.
Comment
lui expliquerais-je que son absence m’avait fait mal, que je ne voulais plus la
quitter ? Que je lui demandais pardon. J’allais la perdre, m’étais-je dit, et
pourtant, j’ai la certitude de l’adorer, malgré mon indélicatesse. Je lui
aurais dit que j’avais beaucoup souffert de sa disparition et qu’elle devait
revenir et m’accorder son pardon.
Ma
conduite n’en était-elle pas la meilleure preuve ? Je lui aurais fait le
tableau de ma douleur. Je lui aurais dit que je l’aimais avec désespoir, en d’autres
termes, que je n’espérais rien d’autre que son retour auprès de moi.
Savait-elle,
maintenant, que j’avais compris le tableau de sa douleur ? Ma confiance en la
sagesse de Madeleine était si grande que l’idée d’une pareille supplique me
semblait encore la plus naturelle au milieu des idées folles qui m’assiégeaient.
Je l’imaginais triste et très sincèrement affligée à me voir ainsi, m’écoutant
avec la compassion d’une amie impuissante à consoler, et disposée à me
plaindre.
Aurait-elle
quelque remède ?
Peut-être
pas.
Et
s’il lui avait été possible de parler, dans un instant où toutes les énergies
de sa tendresse et de sa fierté me suppliaient ou m’ordonnaient de me taire,
eût-elle dit cette seule chose que je savais trop bien ? Que les confidences
étaient faites ? Que je me conduisais comme un lâche ? Je n’aurai pas son
pardon, pour l’avoir traitée de pauvre muette inutile. De lui avoir dit que,
lorsqu’on était muette, la société... Elle demeurerait immobile, sans geste,
les yeux rivés sur moi, les joues en pleurs, sublime d’angoisse, de douleur et
de fermeté.
Voilà
ce qui serait arrivé si, pour me débarrasser comme un lâche de mon trop lourd
fardeau, j’avais dit à Madeleine que je l’aimais...
L’amour
ne se dit pas : il se prouve !
Valognes Normandie, France,
Juillet
2013
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