HORS DE MES GONDS
Je suis hors de mes gonds, comme beaucoup de
gens,
A force de marcher dans mon bureau en songeant ;
Avec mon vieux sang qui bout dans mes veines,
Je finis par m’emplir l’esprit de choses
vaines,
Et par savoir par cœur le nombre écrit de mes
récits.
Que disais-je, avant de me diriger vers mon
lit ?
A oui ! je regarde sans cesse ces murs
jadis décrépis,
Qui ne le sont plus grâce à beaucoup de
produits.
Mon voisin a une femme qui est belle, je
devine,
Cette voisine est sensuelle, jeune, adorable,
divine ;
Elle a marié son compagnon sans penser au
profit,
Je la vois montrer mille vertus, et cela me
suffit,
Je n’en veux pourtant pas, pour quoi faire à
mon âge,
Si ce n’est encore, encore et toujours un
ratage.
Je ne suis pas homme à plaire aux femmes, je
le sais ;
Oh non ! Sinon, tous les jours,
toujours je faiblirais,
Et je n’en ai nulle envie ; pourquoi me
direz vous ?
Parce que je ne veux plus de ma vie tomber à
genoux.
Aimer, d’ailleurs, cela nous fait faire des
bêtises,
Je le sais pour avoir dit à des femmes mille
sottises,
Chose qui m’arrive toujours quand je ne
résonne,
Et que jamais ces élégantes dames pardonnent.
Je voulus penser, je voulus dans la vie jouer
un rôle.
On me jette à la porte. On fait bien. Va-t’en,
drôle !
Mais, dites-moi, est-ce une raison pour ainsi
se fâcher ?
Je compte pour personne, soit, mais fus bien
élevé !
Je fus honni pour un tas d’opinions diverses,
Bonnes aux filles de rien, et à ces femmes
perverses ;
Progrès, raison, devoirs, dit-elle, est-ce que
je sais ?
Mais que, flanqué dehors, il n’en ait point
assez !
Voilà le ton sur lequel on me parla par un
jour de pluie,
Un de ces jours dont on se souvient surtout la
nuit.
Par ce temps, qu’on feigne s’enquérir de ma
santé,
Que j’aie souffert en écrivant, pourquoi le
demander,
Elle le sait et s’en moque assez souvent en
souriant,
De cet air qu’elle affiche à ses amies et
qu’elle vend
Aux savants qu’elle fréquente et, dans des
lieux fermés,
A ces probables qui n’ont de mérite que
d’être bien nés.
Hors de mes gonds, comme beaucoup de
passants,
A force de rêver à tout mon passé, comme
souvent,
Avec ce vieux sang qui bout ce jour à grand’
peine,
Non plus pour longtemps, dans mes pauvres
vaines,
Car je respire à peine, je vous en donne ma
parole,
Avec ces faits qui, dans mon esprit,
bouillonnent,
Je finis les mains crispées par m’endormir
l’esprit,
J’abandonne mes misères et me dirige vers mon
lit.
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