L’enfant face à la vie



       Le petit homme qu’il avait été, assis sur sa chaise, songeait à la vie.  Tous les jours, il l’embrassait, et tous les jours aussi, il la tracassait ; dans un égoïsme inconscient, il l’avait fait souffrir inconsciemment. Ce n’était pas le fait qu’il ne l’aimât point, contrairement, et plus encore peut-être, mais il n’était encore qu’un enfant. Il en demandait pardon à Jésus. Tout comme lui, à de certains moments, d’autres aussi oubliaient le reste du monde.
       À cet instant, assis sur cette chaise à fond de paille, dans cette vieille grange aux colombages, il se souvenait combien il avait été étonné d’apprendre tout ce que la vie lui avait enseigné. Il la revoyait comme elle avait été. Ne fallait-il pas expliquer où il avait pu apprendre assez de procédure pour conduire les affaires de son petit monde ?
       Ne devait-il point consacrer ces quelques souvenirs à cette vie à laquelle il songeait ? Cette dame aimable et spirituelle qui lui disait de ne point laisser tomber la plume car il y a de l’ouvrage ? Aujourd’hui, le vent qui soufflait sur la prairie n’emporterait pas le témoignage d’amour qu’il lui avait porté et qu’il n’était point besoin de rendre public.
       L’enfant ressemble à une fleur qui germe, grandit et puis se fane : on ne s’en rend pas compte. Il se perd dans le monde qu’il prépare de ses mains malhabiles. Certains ne perdent point cette fraîcheur d’esprit qui permet de goûter des charmes trop oubliés. On dit alors qu’ils sont restés de grands enfants. Cependant, quand on regarde cet enfant, on ne peut oublier qu’il s’agit d’un petit être qui vivra dans un monde gigantesque et qui dépendra des géants.
       Pour beaucoup, leurs journées se passeront à recevoir et à exécuter des ordres, à se faire punir s’ils ne se plient pas à des routines quotidiennes qu’ils tiennent généralement pour absurdes. Malgré ce, notre enfant, assis sur sa chaise, avait conservé sa personnalité, tellement le monde fournissait d’occasions de s’amuser qu’il acceptait, sans trop protester, ce que l’on exigeait de lui.
       La vie semble à la fois passionnante, étrange ou effrayante, selon le milieu social auquel nous appartenons. Notre enfant songeait à ces faits, aujourd’hui, mais, à part lui, lequel de ses petits camarades s’en souvient-il encore ? Il y a mille raisons d’oublier : le manque de temps, d’argent, de liberté et j’en passe.
       Cependant, observons notre enfant assis sur sa chaise au printemps ; il n’est pas maître du temps, n’a pas encore besoin d’argent et il vit comme un prisonnier dans certaines demeures des grandes villes. Mais, qu’il habite une HLM ou la campagne assis sur une chaise à fond de paille, la joie de vivre emplit chaque moment de son existence.
       Quant à l’adulte, la vie l’oblige à penser et à travailler les yeux fixés sur un but déterminé. Or, s’il ne goûte pas au passage les charmes de la route, il se prive d’un plaisir inestimable. Ce plaisir, l’enfant peut lui apprendre à le redécouvrir, sans doute, mais combien parmi les adultes ne lui  diront-ils pas que le temps seul peut expliquer la vie ?
       Il est beaucoup de gens qui prêtent grande attention à leur montre. Le petit garçon, lui, écoute d’autres bruits et observe d’autres choses, le crissement de la craie sur une ardoise, la vue du petit lac que forme le jus de la viande dans un cratère de la purée préparée par grand-mère, le contact du savon insaisissable dans l’eau du bain, la pluie fine du commencement de l’été, car le jeune enfant ne sait pas encore quand l’été commence et où s’arrête l’hiver pour faire place au printemps.
       À moins qu’on ne lui fausse l’esprit, l’enfant n’a aucun préjugé de race, de classe sociale, de situation ; pour preuve, il ramènera à la maison n’importe qui, dans n’importe quelle tenue. Ne sont-ils pas de vrais démocrates ?
       La pluie tombe soudain et peigne l’herbe. Tout comme l’enfant, j’ai besoin d’exprimer, sans le vouloir, des remarques originales, pleines de poésie et de pittoresque. Ne serait-ce pas formidable, si nous étions capables de dépouiller cette tournure d’esprit étriquée, ce point de vue adulte sur la vie, d’ailleurs si étriqué, si rigoureusement étriqué, emprunté aux livres, aux maîtres, à nos parents, pour accéder au niveau des enfants ?
       Nous ferions subitement la découverte d’un monde nouveau et enchanteur, fussions-nous chauves et bedonnants. En fait, le tout est de tirer parti de nos cinq sens, comme les enfants.


Liège, Belgique, mai 1988



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