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Affichage des articles du janvier, 2016

La chambre de famille.

    Il semble que, dans cette pièce, le passé vous écoute et que les grands-parents vous observent. Ne sont-ils pas chez eux ? Rien n'y est changé depuis qu'ils nous ont quittés. C'est dans cette bergère que somnolait le grand-père, le journal déplié sur les genoux ; sa grosse canne pommeau d'ivoire est restée dans le coin où il la déposait d'ordinaire. On croit entendre le bruit de son pas, un peu lourd et traînant, lorsqu'il traversait l'antichambre, et l'on se rappelle le bon sourire, le regard heureux qu’il promène autour de lui. Sur les lourds chenets, on aperçoit les traces denses pantoufles, on le voit penché vers la flamme faisant écran de ses mains aubinées. Comme on les regardait ces mains dont on connaissait les moindres rides et comme on les aimait surtout, sachant qu'elles ne s'étaient jamais ouvertes que pour aider les autres.

La maison paternelle.

J'aimais bien la maison où je suis né un jour d'hiver. On pouvait dire que c’était une vieille demeure paysanne, d'une architecture un peu désuète et vieillotte, mais elle était plus que tout autre douce et chère à mon cœur. C’était un gîte, avec ses fenêtres en chêne et sa façade de briques rouges sur laquelle une vigne étendait ses guirlandes épaisses, où il faisait bon vivre. Dans les interstices des pierres fusionnaient quelques graminées. La toiture paraissait affaissée, caduque, mais était encore solide. Les tuiles rouges luisaient gaiement sous les rayons du soleil et, le gros noyer, d'une de ses maîtresses branches, venait caresser la pointe supérieure d'un pignon. C'était la maison de mon enfance dans laquelle je jouais après l'école, et, où on prenait une collation, entre copains. Aujourd'hui, elle est impersonnelle à mes yeux, vendue à un Vietnamien qui ne connaît pas les beautés des styles de mon pays.

Le jardin un jour d'hiver

Aux environs de 16 h, le jardin m'apparut tout en fleurs ; le froid le plus vif du crépuscule avait congelé le brouillard autour des branches et vêtu celles-ci d'une miraculeuse floraison. Je courus follement dans les allées que les buis couverts de neige bordaient d'hermine. Chaque arbuste paraissait plus gainé de corolles que les pêchers du printemps ; les buissons semblaient d'une cristallisation fragile et les feuilles encore suspendues mettaient des pétales. Dans la pelouse de grands arbres entourés, chaque brin d'herbe était givré. C’était mon jardin, ce jour d'hiver de l'année dernière !

Une recette de travail

Quelques divers que soient les travaux des hommes, il est quelques maximes qui devraient être communes à tous les travailleurs. D'abord, parmi tous les travaux possibles, il faut choisir : la force et l'intelligence des hommes ont des limites étroites. Qui veut tout faire ne fera jamais rien. Tenez pour certain que ceux qui se montrent tout feu tout flamme successivement pour la musique, les affaires, la politique, quel que puise être le succès d'un instant, ils n'aboutissent qu'à la médiocrité ou aux échecs lamentables. Il faut procéder d'une toute autre manière. L'Art de vivre consiste à se choisir un point d'attache et à y concentrer sa force tout entière. Faisons ce que nous faisons, mais faisons-le de tout notre cœur, quelques grands efforts puissent nous en coûtés.

La petite rivière

Petite rivière qui promène dans la petite vallée les caprices changeants de sa marche onduleuse et qui crée sur ton passage la gaieté et la fraîcheur, je suis de ceux que tes grâces rustiques appellent et retiennent sur tes bords. Là, sur un lit de cailloux, tu accélères ta course murmurante, caressant l'algue flexible qui ondoie mollement ou balançant le roseau qui ploie doucement sa hampe frissonnante. Tu vas, tête baissée, sur une grosse pierre émergeant soudain légèrement, et là, tu t'irrites, tu halètes, tu écumes jusques à quand, de guerre lasse, tu jettes à la ronde des perles d'argent qui s'égrènent au fil de l'eau, comme si cette colère d'enfant se déchargeait en un éclat de rires mouillés de larmes.

La femme muette

Ce fut un 2 juin que Laure Drouart perdit l'usage de la parole. Elle avait passé une nuit blanche. Son mari, atteint d'une maladie incurable, avait la grippe et une forte température. Ce matin-là, elle était restée à son chevet jusqu'à 11 heures, lorsqu'elle se retira pour aller consoler sa fille Marion, qui pleurait la mort de son chien.        Un an auparavant, le malheur avait fait son entrée dans la famille Drouart, jusqu'alors si heureuse. De leurs trois filles, il ne restait plus aux parents que la dernière, Marion, qui avait six ans et que l'on surnommait Minouche. Un jour, sa sœur Claudia était partie avec ses grands-parents pour une promenade en mer. Leur embarcation s'était retournée et avait été emportée par les flots. D'un seul coup, Laure Drouart perdait son père, sa mère et l'aînée de ses enfants. Peu après, sa seconde fille, Marie-Louise, mourait sur la table d'opération.        Le timbre de la porte d'entrée sonna. Le