Le visage de Judas Iscariote.
Ce récit fut rédigé par Bonnie Chamberlain. Il le tenait d’un
vieux prêtre lorsqu’il était enfant. Je n’ai pas pu résister à la tentation
d’en faire profiter les lecteurs de mon blog, d’autant plus que Bonnie Chamberlain
s’était toujours demandé qu’elle pouvait en être l’origine, puisque personne
n’avait pu le lui dire.
Ci-dessous, telle est l’histoire comme je l’ai lue.
Il y a bien des siècles, un grand artiste avait été chargé
de peindre une fresque pour la cathédrale d’une grande ville de Sicile. La vie
du Christ en était le sujet. Pendant de longues années, l’homme travailla avec
ardeur et termina enfin son œuvre, à l’exception des deux personnages les plus
importants : le Christ enfant et Judas Iscariote. Il chercha longtemps et
en tous lieux des modèles pour ces deux figures.
Un jour, au hasard d’une promenade dans
les vieux quartiers de la ville, il rencontra des enfants qui jouaient dans la
rue. Parmi eux se trouvait un petit garçon d’une douzaine d’années dont le visage
remua le cœur de l’artiste. C’était un visage d’ange –– très sale peut-être ––
mais qui convenait parfaitement.
L’artiste amena chez lui l’enfant qui,
pendant des jours et des jours, posa patiemment pour la tête du Christ enfant.
Cependant le vieux peintre ne trouvait
pas de modèle pour la tête de Judas. De longues années durant, hanté par la
crainte de voir son chef-d’œuvre à jamais inachevé, il continua patiemment ses
recherches.
Son histoire se répandit au loin et
bien des hommes, se croyaient un visage mauvais, s’offraient toujours en vain
un visage satisfaisant : celui d’un homme avili par la luxure et la
cupidité.
Or, un après-midi, l’artiste était
attablé à l’auberge devant son verre de vin quotidien. Un pauvre hère décharné
et loqueteux franchit en trébuchant le seuil du cabaret et vint s’affaler à
terre : “À boire, à boire !” suppliait-il. Le peintre souleva l’homme
et posa son regard sur un visage qui le fit tressaillir tant il semblait porter
les stigmates de tous les péchés de l’espèce humaine.
Profondément ému, le vieux peintre aida
le misérable à se remettre sur ses pieds.
–– Viens avec moi, lui dit-il, et je te
donnerai du vin, de la nourriture et des vêtements.
Il tenait enfin son modèle. Pendant de
longues semaines, jour et nuit, le peintre travailla fébrilement pour achever
son chef-d’œuvre.
Mais, à mesure que l’ouvrage avançait,
un changement s’opérait chez le modèle. Une tension étrange remplaçait sa
langueur hébétée du début et ses yeux injectés de sang se fixaient avec horreur
sur son propre portrait. Un jour, remarquant l’agitation de son sujet, le
peintre s’arrêta de travailler.
–– Mon fils, dit-il, je voudrais bien
t’aider. Qu’est-ce qui te tourmente de la sorte ?
Le modèle éclata en sanglots et cacha
son visage dans ses mains. Après un long moment, il leva sur le vieux peintre
un regard suppliant.
–– Ne te souviens-tu pas de moi ?
Jadis, je t’ai servi de modèle pour le Christ enfant.
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