Blondine


       En ce moment le bruit léger des pas d’une femme, dont la robe frémissait, retentit dans le silence. Nous vîmes entrer la jeune Blondine, plus brillante encore par son expression d’innocence que par sa grâce et par sa fraîche toilette ; elle marchait lentement et avait belle allure quand elle arriva à une porte cachée par une tenture.
       Là, Blondine frappa doucement. Aussitôt apparut, comme par magie, un grand homme sec. Elle le salua respectueusement et sa chaste caresse ne fut pas exempte de cette câlinerie gracieuse dont le secret appartient à quelques femmes privilégiées.
       ––Bonjour, bonjour ! dit-elle avec les inflexions les plus jolies de sa jeune voix.
       Elle ajouta même sur la dernière syllabe une roulade admirablement bien exécutée, à voix basse, comme pour peindre l’effusion de son cœur par une expression poétique.
       Le grand homme sec, frappé subitement par quelque souvenir, resta sur le devant de la porte. Nous entendîmes alors, grâce à un profond silence, le soupir lourd qui sortit de sa poitrine ; il tira soudain une belle bague dont ses doigts squelettiques étaient chargés et la plaça au blanc chemisier de Blondine.
       La jeune fille se mit à rire, prit la bague et s’élança vivement à l’intérieur de la pièce.
       Nous entrâmes à notre tour et, après nous avoir regardés comme pour nous interroger, Blondine sourit de cet air noble qu’on les belles jeunes femmes. Je m’enhardis :
       –– Mes hommages, madame !
       –– Qu’est-ce à dire, monsieur ? me demanda la belle. Je crois rêver ? Où suis-je pour que vous osiez  porter le regard sur mes rotondités.
       –– Vous ! dis-je, vous, madame, qui êtes exaltée et qui, comprenant si bien les émotions les plus imperceptibles, savez cultiver dans un cœur d’homme le plus délicat des sentiments, sans le flétrir, sans le briser dès le premier jour, vous qui avez pitié des peines du cœur, et qui, à l’esprit des liégeoises, joignez une âme passionnée digne de l’Italie et de l’Espagne… Ô ! Madame !
       Blondine vit bien que mon langage était empreint d’une ironie amère ; et, alors sans avoir l’air d’y prendre garde, elle m’interrompit pour dire : »–– Oh ! vous me faites à votre goût. Singulière tyrannie. Vous voulez que je ne sois pas moi.
       –– Oh ! je ne veux rien, m’écriai-je épouvanté de son attitude sévère. Au moins est-il vrai que vous aimez à entendre raconter l’histoire de ces passions énergiques enfantées dans nos cœurs par les ravissantes femmes de notre pays.
       –– Il est vrai. 
       –– Vous aimez les passions de Liège ? Et des Flandres ? dis-je.
       –– Peut-être. En ce moment, dit-elle avec une coquetterie désespérante, j’ai le plus vif désir de connaître l’avenir de notre pays…
       ––J’irai chez vous demain vers 21 heures et vous révélerai mon opinion.
       –– Non, répliqua-t-elle d’un air mutin, je veux l’apprendre sur-le-champ.
       –– Vous ne m’avez pas encore donné le droit de vous obéir quand vous dites : Je veux.
       Elle sourit et nous nous séparâmes ; elle toujours aussi fière, aussi rude, et moi toujours aussi ridicule.
       ––À demain, me dit-elle en sortant.
       –– Je n’irai pas, pensais-je, et je t’abandonne. Tu es plus capricieuse et même mille fois plus que mon imagination.
       Le lendemain, nous étions tous les deux, assis dans un petit salon élégant. Le boulevard était silencieux. Le lampadaire jetait une clarté douce. C’était une de ces soirées délicieuses à l’âme, un de ces moments qui ne s’oublie jamais, une de ces heures passée dans la paix et le désir et dont, plus tard, le charme est toujours un sujet de regret, même quand nous nous trouvons plus heureux. Qui peut effacer la vive empreinte des premières sollicitations de l’amour ?


 Liège, Belgique, septembre 2014 
 

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