Une bouteille à la mer !
Vous est-il déjà arrivé de jeter à la mer un message contenu dans une bouteille ?
C'est ce
que fit, voilà plusieurs années, un jeune marin suédois. Un jour où il se
sentait du vague à l'âme, en haute mer, il jeta par-dessus bord une bouteille,
hermétiquement close, dans laquelle il avait glissé une lettre invitant la
jeune fille qui la trouverait à lui écrire en retour.
Deux ans
plus tard, la bouteille fut rejetée par les flots sur une côte de Sicile. Un
pêcheur la ramassa et, pour plaisanter, la remit à sa fille, la jolie Paolina. Également pour s'amuser, Paolina écrivit au jeune
marin. Ils se mirent à correspondre de plus en plus souvent. Bientôt le jeune
Suédois arriva en Sicile et, à l'automne de la même année, il épousait Paolina.
Un nouvel épisode venait de s'ajouter à l'étonnante histoire des bouteilles qui
dérivent au gré des océans.
Des
bouteilles comme neuves
Malgré son
air d'extrême fragilité, une bouteille hermétiquement bouchée est un des objets
qui tiennent le mieux la mer. Dansant sur l'eau, elle passera sans encombre à
travers des ouragans capables d'envoyer de grands navires par le fond.
D'ailleurs,
à moins de le laisser tomber ou de lui faire subir un choc violent, le verre
est pratiquement éternel. En une année dont je ne me souviens point le
millésime, des plongeurs fouillaient l’épave d’un bateau coulé deux cent
cinquante ans auparavant, au large des côtes d’Angleterre ; ils en
remontèrent quantité de vieilles bouteilles. Impossible d’identifier le liquide
qu’elles contenaient, mais les bouteilles étaient comme neuves.
La vitesse
à laquelle une bouteille dérive varie avec les vents et les courants. Flottant
dans un coin d’océan tranquille, elle peut se déplacer d’un mille marin (1.852
mètres) par mois. En revanche, le Gulf
Stream l’entraînera à vive allure ; poussée par ce puissant courant qui
traverse l’Atlantique, elle parcourra jusqu’à 100 milles par jour.
·
Le Gulf Stream est un courant océanique
qui prend sa source entre la Floride et les Bahamas et se dilue dans l'océan
Atlantique vers la longitude du Groenland après avoir longé les côtes
européennes. Son nom est abusivement utilisé pour désigner la dérive nord
atlantique, voire l'ensemble de la circulation de surface de l'océan Atlantique
Nord.
Personne,
cependant, ne peut prédire avec certitude la direction qu’elle suivra. Un jour,
deux bouteilles furent jetées à la mer simultanément, tout près de la côte du
Brésil. L’une dériva en direction de l’est
pendant 130 jours et fut retrouvée sur une plage africaine ; l’autre vogua
pendant 196 jours vers le nord-ouest
et vint finalement échouer au Nicaragua, en Amérique centrale.
D’autre
part, deux autres bouteilles qui avaient été lancées au beau milieu de
l’Atlantique atterrirent toutes deux sur la côte française, à quelques mètres
seulement l’une de l’autre, après 350 jours de mer !
Le
« Vaisseau fantôme »
Le record
de la distance parcourue en mer par une bouteille semble appartenir à une
vaillante championne, surnommée le Vaisseau fantôme ».
Des savants
allemands l’avaient lancée en 1929, si mes notes sont exactes, dans le sud de
l’océan Indien. Elle contenait un message qu’on pouvait facilement lire de
l’extérieur, sans briser le verre. Ce message priait les gens qui trouveraient
la bouteille de la rejeter à la mer sans l’ouvrir.
La
voyageuse dut rencontrer un courant qui portait vers l’est, car elle commença
par dériver jusqu’à la pointe méridionale de l’Amérique du Sud. À plusieurs reprises, elle y fut découverte, signalée
et relancée à la mer.
Après
avoir franchi le cap Horn, elle traversa hardiment l’Atlantique et pénétra de
nouveau dans l’océan Indien. Elle passa même à l’endroit où elle avait été
primitivement lancée.
Son
périple s’acheva sur la côte ouest de l’Australie où, d’après mes sources, elle
échoua en 1935. En fait, elle avait parcouru 24000 kilomètres en 2477 jours,
circulant donc à la vitesse moyenne de dix kilomètres par jour pendant six ans.
Elle mérita bien un prix d’endurance !
Ces voyageuses
rendent de multiples services
Les
bouteilles se sont montrées particulièrement précieuses pour établir les cartes
des courants marins. Dès le XVIIIème siècle, les navires ont pu,
grâce à ces cartes, éviter les courants contraires et profiter des courants
favorables
La
première carte a été dressée aux alentour de 1750 –– ce n’était pas hier ––
date à laquelle une grande partie de l’Amérique du Nord appartenait à
l’Angleterre ; le directeur des Postes américaines était alors Benjamin
Franklin, le célèbre homme d’État. Franklin en était venu à se demander
pourquoi les navires des messageries anglaises mettaient régulièrement une ou
deux semaines de plus que les baleiniers américains pour traverser
l’Atlantique.
Il pensa
que le Gulf Stream était, peut-être, la clef du mystère. En interrogeant les
capitaines des bateaux américains, il constata qu’ils connaissaient tout les
méandres du Gulf Stream et en tiraient parti, chose que les pilotes des navires
anglais ne savaient pas faire.
Franklin
établit ainsi une première carte avec l’aide des baleiniers. Il la vérifia
ensuite, en faisant lâcher dans le Gulf Stream des bouteilles scellées et en
demandant aux gens qui les trouvaient de lui renvoyer les messages enfermés
dedans. Il obtint, de la sorte, sur la dérive des bouteilles, bien des renseignements
qui lui permirent d’établir un tracé très précis du cheminement des courants.
La carte définitive qu’il arriva à dresser ainsi a subi très peu de corrections
par la suite.
Un autre
personnage célèbre étudia les courants marins à l’aide de bouteilles : le
prince Albert Ier de Monaco, grand-père du prince Rainier. Sa
science se révéla extrêmement précieuse dans les mois qui suivirent la fin de
la Première Guerre mondiale.
À
cette époque, des milliers de mines, allemandes et anglaises, dérivaient encore
dans les eaux européennes constituant un danger mortel pour la navigation. Il
s’agissait de savoir où l’on risquait le moins d’en rencontrer. C’est alors
qu’intervint le prince Albert Ier. Sept semaines après l’armistice
de 1918, il put fournir des cartes qui indiquaient aux commandants des navires
les routes à suivre pour éviter les zones vers lesquelles les mines, poussées
par les courants, avaient le plus de chances de dériver. Le même système fut
employé après la Seconde Guerre mondiale.
Une dépêche
historique dans une bouteille
Les
bouteilles à la mer, tout au long des siècles, ont transporté une étonnante
diversité de message. Pendant le siège de Paris, en 1870, le service français
des Postes eut l’idée de communiquer avec la ville assiégée au moyen de
cylindres en zinc pouvant contenir 600 lettres, que l’on jetait dans la Seine
et qui, portés par le courant, devaient traverser les barrages établis par le
Génie allemand. On les appela « boules de Moulins » parce que toute
correspondance avec Paris se trouvait centralisée à Moulins. Malheureusement,
des 68 boules jetées dans la Seine, aucune ne parvint à destination pendant le
siège. La première d’entre elles ne fut retrouvée qu’en 1871.
S.O.S.
Quant aux
marins en difficulté, que de fois ils se sont servis de bouteilles pour
demander du secours ! En 1875, l’équipage d’un voilier canadien, le Lennie, se mutina en plein golfe de
Gascogne. Tous les officiers du bord furent tués et les marins décidèrent de
faire voile vers la Grèce, au lieu de se rendre en Amérique où le navire était
primitivement attendu.
Un membre
de l’équipage n’avait pas participé à la révolte ; c’était un steward
belge du nom de Van Heydel. Il avait eu la vie sauve, parce qu’aucun des mutins
ne connaissaient l’art de naviguer et qu’ils avaient besoin d’un pilote. Or Van
Hetdek savait lire et écrire ; ses compagnons s’imaginaient qu’il
pourrait, peut-être, aussi diriger le navire.
Il faut
croire qu’il en était capable, car il mystifia complètement les mutins. Il mena
le Lennie tout près de la côte
française, en leur faisant croire qu’il s’agissait de l’Espagne. Puis, prenant
bien soin de ne pas être vu, il jeta à la mer plusieurs bouteilles contenant
des appels à l’aide.
Quelques
heures plus tard, une de ces bouteilles fut découverte sur une plage française
de la côte de l’Atlantique. Les autorités françaises crurent à une
plaisanterie, mais elles préférèrent envoyer un petit bâtiment de guerre pour
s’en assurer.
Les marins
français ne tardèrent pas à repérer le Lennie ; ils l’accostèrent et
arrêtèrent l’équipage. Quelque temps après, les mutins furent jugés à Londres
et quatre d’entre eux furent pendus. En témoignage de satisfaction et de
reconnaissance, les propriétaires du Lennie remirent à Van Heydek une
récompense de 50 livres sterling.
Un des cas
les plus curieux de transport de message par bouteille est, sans doute, celui
du marin japonais Matsuyama. En 1784, il avait mis à la voile avec 44
compagnons pour se livrer à la chasse au trésor dans les îles du Pacifique.
Leur bateau fit naufrage et tous moururent de faim sur un récif de corail en
plein océan. Peu avant de mourir, Matsuyama
grava un court récit de leur fin tragique sur un morceau de bois et
l’enferma dans une bouteille qu’il jeta à l’eau. En 1933, plus de cent cinquante
ans après avoir été jetée à la mer, la bouteille de Matsuyama s’échoua sur la
côte japonaise, à l’endroit même où s’élevait le village de pêcheurs où
Matsuyama était né.
Pourquoi ne
pas trouver une bouteille ?
Peut-être,
un jour, une bouteille vous apportera-t-elle la fortune ? En 1958, les
grands magasins David Jones, de Sydney en Australie, ont lancé à la mer un
certain nombre de bouteilles pour fêter le 120è anniversaire de leur
création. Or, elles contiennent des bons donnants droits à des cadeaux, pour
une valeur assez considérable !
Aux
dernières nouvelles, les bouteilles n’ont pas été encore retrouvées…
Mais
sait-on jamais ? Ce sont les vacances. Rien ne dit qu’une de ces
bouteilles n’atterrira pas sur votre plage ?
Source : © Gordon Gaskill
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