La Disparition de Satan
Quand
eut pour cadre cette histoire ? Je ne saurais pas le dire. Si je vous dis
une année, je mentirais ; si je vous dis un mois, je mentirais ; si
je vous dis un jour, une heure, un lieu, je mentirais également, tout comme le
nom du protagoniste de ce récit. Et, comme ce récit est imaginaire, il faut
bien vous dire que je ne suis pas payé pour dire la vérité !
Si encore
j’étais payé pour quelque chose !
Un grand
illusionniste, dont je n’ai jamais connu le nom et que je n’ai jamais rencontré,
avait un tour favori qu’il avait surnommé la « Disparition de Satan ». À première vue, l’illusion était simple. Il enfermait son assistant,
déguisé en diable, dans un grand coffre. Ensuite, il tirait un coup de
revolver, ouvrait le coffre et il était vide : le diable avait
disparu !
Vous me
direz que vous avez déjà assisté à des centaines de disparitions, comme
ça !
Vous avez
raison, puisque lorsque l’illusionniste s’apercevait de la disparition du
diable, il semblait contrarié.
Il lançait
alors trois appels ; au troisième, le diable devait arriver du fond de la
salle en bondissant et crier : « Me voilà ! Me
voilà ! »
Bien
entendu, comme dans tous ces tours de disparitions, le fond du coffre
dissimulait une trappe ; mais, habillements placés, des miroirs donnaient
l’impression d’un certain espace libre entre le coffre et le sol.
Or, en
tournée dans une ville où il y avait deux théâtres, presque porte à porte,
l’illusionniste apprit un beau matin que son assistant était malade et
incapable de jouer le soir. Pendant un moment, notre illusionniste fut
réellement contrarié. Il ne voyait pas comment s’en sortir. Il arriva à mettre
la main sur un garçon à l’air visiblement peu dégourdi.
Toute la
journée, l’illusionniste et son nouvel assistant répétèrent. Au coup de
revolver, le garçon disparaissait par la trappe ; il sortait ensuite en
rampant en dessous de la scène, s’élançait dans la rue, gagnait clopin-clopant
l’entrée principale du théâtre pour traverser enfin la salle ventre à terre en
criant : « Me voilà ! Me voilà ! »
Le soir
donc, toutes dispositions étant prises, le moment de cette fameuse
« Disparition de Satan » arriva.
Vêtu d’un
collant et d’un manteau écarlates, le garçon apparut et il s’introduisit dans
le coffre magique.
L’illusionniste
referma le couvercle du coffre et, après quelques tours de magie destinés à
détourner l’attention du public, il tira un coup de revolver. Quand il rouvrit
le coffre, il poussa un soupir de soulagement ; comme prévu, le coffre
était vide, la trappe refermée.
–– Où est
le diable ? cria-t-il.
Un silence
pesant emplit la salle.
–– Où est
le diable ?
Nouveau
silence. Silence absolu. Le diable, cette fois, avait bel et bien
disparu !
Pendant ce
temps, notre garçon, dans son accoutrement de diable, avait atteint le
trottoir. Un agent l’arrêta, curieux de savoir ce qu’il fabriquait dans cette
tenue. Il lui fallu un moment pour s’expliquer ; finalement, l’agent le
laissa partir.
Quelque
peu troublé, le malheureux courut à la porte du théâtre, où le portier refusa
de le laisser entrer. Excédé le jeune assistant lui lança un direct à la
mâchoire et se rua dans la salle.
Comme il
se sentait en retard, il n’attendit pas le signal et fonça tout droit par
l’allée centrale en criant à tue-tête : « Me voilà ! Me
voilà ! »
Or il
s’était trompé de théâtre. Sur la scène, au lieu de l’illusionniste, se
trouvait un groupe d’acteurs vêtus de robes blanches et portant des ailes.
Le diable
avait surgi au beau milieu d’une scène où les anges s’apprêtaient à emporter
une petite fille au Ciel !
Liège, Belgique, juillet 2015
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