Machraut

Cette affaire ne fut pas une des plus brillantes de la carrière de Joseph Matobu. Ce dernier avait quitté la PJ pour une cause que personne n’avait pu analyser.
    Matobu habitait Arlon, à présent, après avoir habité à Verviers. Deux villes de Belgique, bien qu’elles soient tout à fait opposées sur le plan géographique. Verviers était située près de la frontière Allemande et non loin de Liège, cependant que la ville d’Arlon jouxtait la frontière Française, bien que non loin de Bastogne.
     Arlon était une ville paisible où il ne s’était jamais rien passé de sensationnel, hormis le procès du pédophile Belge Marc Dutroux. Ce fait n’eut pourtant aucun lien avec l’affaire dont devait s’occuper Joseph Matobu à titre purement officieux, cela va de soi.
    À Arlon vivait une jeune femme d’une vingtaine d’années, très belle et très mince, aux cheveux châtains clairs, qui avait épousé un jeune homme de son âge, ivrogne invétéré, qui la battait fréquemment. Il existait bien dans la ville un Refuge pour femme battues mais, comme dans d’autres villes de par le monde, Madame Leuven –– c’était son nom de jeune fille –– n’avait jamais voulu porter plainte contre les agissements de son mari. Nombre d’habitants de la ville avaient pourtant devinés sa pauvre existence, mais personne n’était cependant intervenu et les habitants préféraient de loin s’occuper de leurs affaires.
       Quant à Monsieur Machraut, son mari, âgé de cinq ans de plus que sa femme, on eût dit qu’il avait continuellement l’air inquiet pour Dieu sait quelle raison. Outre cela, on l’avait appris par la suite, il ne battait pas uniquement Mme Machraut, mais, une gamine de dix-huit ans à peine, sa jeune secrétaire, qui travaillait dans la même société d’assurances.
    Au soir tombant, Machraut entrait perpétuellement au débit de tabac qui était sur la place et y demandait une bière bien fraîche, été comme hiver, avant d’en commander une deuxième, puis une troisième et ainsi de suite. La jeune tenancière lui avait bien expliqué, dès le départ, qu’elle se devait d’arrêter de lui servir des consommations, lorsqu’il ne “tenait plus la route”, mais cela n’avait servi à rien.
Si son client avait un accident en sortant de sa taverne en ébriété,  disait-elle, elle en était responsable, parce qu’elle n’avait pas refusé de l’alcool à un homme déjà ivre. Elle eut dû appeler la police, certes, mais Machraut était méchant après sa deuxième bière et la débitante craignait pour sa vie. Les hommes mêmes, assis sur les sièges de la taverne, craignaient que Machraut en vienne aux mains avec l’un ou l’autre d’entre eux.
Machraut était le genre d’homme auquel il n’était pas bon d’interdire quelque chose ; aussi, au début de ses visites du soir, lorsqu’il allumât une cigarette qu’il avait roulée lui-même avec du gros tabac, il s’en était pris à la débitant, lorsqu’elle lui avait certifié que la loi ne lui permettait pas de fumer dans son café.
Souvent, il quittait le bar, seul, avec la démarche lourde, se tenant la plupart du temps aux chambranles des portes, et on entendait dans la salle des propos des consommateurs fusés : “Qu’est-ce qu’elle va encore prendre !”
À la fin janvier de cette année, on perçut nombre de bruits de voix, des exclamations et des claquements de portières. Tout le monde observa la scène les yeux grands ouverts. C’étaient les forces de l’Ordre ! L’Identité Judiciaire était sur les lieux ainsi que la police Scientifique devant le domicile des Machraut. Mme Machraut gisait sur le sol, assassinée par son mari avait déclaré la police chargée de l’enquête. 
Joseph Matobu avait prié les policiers de ne pas dévoiler de quelle façon était décédée Mme Machraut. Il avait obtenu satisfaction, bien que beaucoup de policiers lui eussent dit : “Tu crois à l’innocence de Machraut ?” Matobu avait avancé que quelque chose ne collait pas dans cet assassinat : ça sonnait faux !
Le procès de Machraut n’a jamais eu lieu, en cette fin janvier, non parce qu’on a trouvé un autre coupable qui aurait innocenté Machraut, mais parce que Machraut s’est pendu dans sa cellule ; cependant, il a laissé une lettre où il s'accusait indirectement : “Si ma femme est morte, c’est ma faute, je le reconnaît : non pas que je l’ai tuée de quelque manière que ce soit, mais parce qu’elle en avait marre de moi et de mon ivrognerie ainsi que des coups que je lui donnais quand j’étais ivre. C’est pour cette raison qu’elle s’est suicidée. Elle a pris le couteau au manche noir, dans le tiroir de la cuisine et je l’ai vue mettre fin à ses jours. Je ne mets pas fin aux miens par peur mais pour éviter un procès inutile ; je mets fin à mes jours parce que je me rends compte, entre ces quatre murs, que j’ai fait beaucoup de mal autour de moi. Adieu”

                                       Liège, lundi 16 janvier 2017


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