Écrire à l’âge de l’atome
La correspondance privée est en voie
d’extinction, depuis pas mal de temps. Le développement des techniques
modernes : l’ordinateur, la tablette, l’iPhone et les techniques
audio-visuelles rendent chaque jour l’encre et le papier un peu plus
anachroniques. La lettre personnelle a disparu depuis longtemps, au profit du
téléphone portable etc.
Internet nous renseigne sur les
événements quotidiens, bien avant la télévision, peut-on dire, avec plus de
précision et combien plus rapide que ne pourrait le faire une missive. Si bien
que la circulation des nouvelles, assurée surtout par les lettres personnelles,
n’est plus la raison primordiale qui pousse l’homme à en écrire.
Pourtant, si nous en jugeons par le volume de
notre courrier, jamais autant de mots n’ont été couchés sur une feuille de
papier qu’en ce vingt-et-unième siècle. La raison nous saute rapidement aux
yeux : jamais l’activité économique n’a été aussi intense, jamais les
consommateurs n’ont été aussi sollicités.
Par ailleurs, l’homme moderne se débat
au milieu d’un réseau inextricable
d’organismes, de caisses, de bureaux, de publicités pour les pâtes
dentifrices, etc. « Cette enveloppe qui porte mon nom dactylographié,
vient-elle de ma compagnie d’assurance, de la Sécurité sociale, du
percepteur ? » Les lettres d’affaires, les lettres administratives se
multiplient sans cesse, et, si nous sommes surtout destinataires, nous sommes
aussi expéditeurs : car il faut expliquer que nous avons déjà payé la
redevance TV., il faut prouver que c’est l’année dernière que nous avons
commencé à cotiser pour cette retraite complémentaire.
Notre courrier personnel, il est vrai,
est moins abondant que par le passé, mais peut-être, sa rareté relative le rend-il
plus précieux. Nous avons tous au moins un ami, une cousine, un oncle dont les
lettres sincères, amusantes, émouvantes, et en tout cas bien écrites, font à la
fois notre joie et notre envie. Il est peu de plaisirs plus subtils que de
recevoir une longue et belle épître de quelqu’un qui nous est cher. À une époque où le temps
nous presse un peu plus chaque jour, comment mieux prouver qu’en lui écrivant
l’intérêt, l’amitié que l’on porte à autrui ? La lettre personnelle,
denrée rare aujourd’hui, est devenue un cadeau délicat.
Une lettre bien écrite est comme un
plat bien préparé : on l’aborde avec gourmandise, on la goûte jusqu’à la
dernière bouchée. Pas plus que le grand cuisinier, l’écrivain accompli ne
surgit du néant maître de son art, telle Athéna sortie toute armée du cerveau
de Zeus, son père. De même que le chef cuisinier est d’abord marmiton pour
apprendre les secrets du métier, celui qui veut bien écrire doit passer des
heures à sa table de travail avant d’acquérir précision, clarté, style.
Cet
apprentissage est nécessaire quel que soit le domaine envisagé, professionnel,
privé ou encore scolaire –– la stylographe retrouve une place de choix dans nos
écoles.
À
l’école, au bureau ou à la maison, nous écrivons, encore et toujours, nous
alignons des mots sur du papier. Comment évaluer la quantité de lettres, de
notes, de messages, de cartes postales, postés ou distribués chaque jour ?À coup sûr, elle est
énorme.
L’on écrit, bien entendu, dans
l’attente ou du moins dans l’espoir d’être lu ! Et pourtant nous savons
qu’une grande partie de ce que nous écrivons –– même à nos proches –– retient à
peine l’attention du destinataire.
Dans ces conditions, si nous voulons
attirer l’attention –– les écrivains disent : ”vendre notre produit” ––,
il nous faut le rendre plus séduisant, plus attrayant, plus agréable. Notre
problème, ne le cachons pas est le suivant : éveiller l’intérêt de celui
qui nous lit, puis soutenir cet intérêt jusqu’au bout. Nous voulons que tout
soit lu, de la première ligne à la dernière ligne, et que notre missive ne
finisse pas dans la corbeille à papiers. Voilà pourquoi il ne faut pas ménager
nos efforts pour apprendre –– si ce n’est déjà fait –– et pour nous entraîner à
rédiger nos lettres de façon à captiver l’attention de notre correspondant. Si
tante Berthe ne comprend pas tout de suite que vous vous inquiétez de
sa santé : c’est raté !
Plus nous parlons, plus la parole nous
devient naturelle. Plus nous écrivons, plus les mots nous viendront facilement.
C’est tout simple !
Liège (Belgique), septembre 2015,
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